Le farteur

À NOTER: Nous avons appris que l’entraîneur du Rouge et Or, Luc Germain, est gravement malade. Luc est un formidable farteur et entraîneur depuis de nombreuses années, qui a toujours eu à coeur le bien-être de ses athlètes. Nous avons d’ailleurs déjà écrit un article sur lui en… 2004, qui montre tout son talent. Il nous fait plaisir de republier cet article, paru en les pages de radio-canada.ca, en souhaitant à Luc paix et sérénité.

Luc Germain (photo: pierre shanks)

Luc Germain (photo: pierre shanks)

3 février 2004 – «Luc Germain est assurément l’un des meilleurs farteurs au Canada.»

Le gars qui parle n’est pas n’importe qui. Les Parsons, ancien entraîneur de Beckie Scott. Oui madame. Les est Albertain. Il donne actuellement des cliniques à l’école de ski de fond de Pierre Harvey, dans la région de Québec.

par pierre shanks

«Luke, comme il dit en anglais, est l’un des meilleurs parce qu’il connaît tout! Ce gars-là a vécu toutes les conditions imaginables. Pour être un bon farteur, ça prend de l’expérience sur le terrain, et Luke est l’un de ceux qui en a le plus au Canada.

Luc Germain est donc l’entraîneur de Dasha Gaïazova, et aussi son farteur. Le farteur est immensément important en ski de fond de compétition. Comme les pneumatiques en F1. Le pneu doit coller à la piste. Le ski aussi, dans la montée, mais dans la descente, il doit glisser plus vite que le voisin!

Luc a 43 ans. Il est entraîneur de ski de fond depuis 22 ans, et farte des skis depuis plus de 20 ans. Vingt ans à s’agenouiller dans la neige, quand il fait encore noir le matin. Vingt ans à se gratter la tête pour trouver le fart qui va faire gagner ses équipiers.

Luc Germain n’a pas perdu ses cheveux.

Laissons-le raconter une journée de travail. Prenons le 5 km style classique des Championnats américains à Rumford, au Maine. Le lundi 5 janvier 2004.

Lève-tôt

En fait le lundi 5 a commencé… dimanche soir le 4, avec une couple d’heures de travail à appliquer le «glider», une couche de fond qui fait glisser, sur tous les skis. Il y a 44 skis à préparer pour le lendemain. Nous ferons le compte plus loin.

«Lundi matin, je suis debout à cinq heures. Je mange et je prépare mes affaires. À six heures, nous nous rendons au site. Nous sommes quatre, deux entraîneurs et deux techniciens.

Rendu là, la première chose que tu fais, tu analyses la température et la condition de la neige. Y a-t-il de la glace dedans? Est-ce de la poudreuse? Est-elle mouillée? Granuleuse?

Luc Germain (photo: pierre shanks)

Luc Germain (photo: pierre shanks)

«Là tu décides quelle cire (fart) tu vas utiliser. Il y a plus de cent choix de cires. J’en possède entre 50 et 75. Les plus efficaces. Les autres n’ont pas d’intérêt pour moi.

«Là tu appliques quatre combinaisons différentes sur quatre paires de skis. Le technicien (le «testeur» pour les intimes) entre alors en jeu et va tester les skis.

«Le testeur a un chronomètre spécial fixé à une botte (un «timer» dans le jargon). C’est comme ça qu’il trouve la paire la plus rapide. On garde cette paire-là et on applique trois autres combinaisons sur les trois autres paires. Là on reprend l’exercice et après ça, nous sommes en mesure de déterminer la meilleure combinaison de fart.

«Là on «rushe» pour farter tous les skis avec cette cire-là. À Rumford, le lundi, les filles partaient à 9h30 et les gars à midi. 11 skieurs au total (Luc est aussi entraîneur adjoint de l’équipe du Québec), 22 paires (chaque skieur soumet deux paires de skis pour chaque course), 44 skis à farter!

«Là les skieurs arrivent. Ils sortent tester leurs deux paires et en choisissent une, sur laquelle ils peuvent demander des ajustements. Plus d’emprise («grip»), moins d’emprise… on fait des ajustements jusqu’à 15 minutes avant le début de la course.

Dasha Gaïazova

Dasha Gaïazova

À vos marques…

«9h30, les filles partent. Pendant la course, je me rends sur le parcours faire des «splits». C’est un procédé un peu comme dans un contre-la-montre en cyclisme, tu calcules les écarts entre les skieurs à l’aide d’un chronomètre spécial, et quand ton skieur passe, tu lui donnes sa position.

«La course des filles terminée, tu retournes travailler les skis pour la course des gars à midi.» Souvent, il faut tester à nouveau et changer de fart parce que le mercure a grimpé. Ou descendu. Ou le soleil est apparu. Ou disparu. Ou il a commencé à neiger. Ou à pleuvoir. Ou à grésiller. Ou à tomber de la pluie verglaçante.

«Après la course des gars, il faut nettoyer tous les skis, de sorte qu’on n’a pas fini avant 16h00.

«À 18h00, c’est le meeting des entraîneurs. On discute des courses du lendemain, des tracés, etc. Il y a parfois des discussions musclées. Après une mauvaise journée, c’est là que certains entraîneurs se défoulent.

Luc Germain (photo: pierre shanks)

Luc Germain (photo: pierre shanks)

Et c’est pas fini…

«Le meeting finit vers 19h30. Là j’ai une quinzaine de minutes pour rencontrer Dasha. On fait le point sur la course du jour et on regarde celle du lendemain.

«En faisant les «splits», le long du parcours, je la vois passer et d’un seul coup d’oeil, je sais ce qu’il en est.

«Après avoir rencontré ton athlète, tu retournes préparer les (44…) skis pour le lendemain matin. Une autre couche de «glider», la couche de fond qui fait glisser.

«Je finis entre 22h et 23h.

«Là, enfin, tu peux sortir. Je vais toujours à la discothèque la plus en vue dans les parages. Tout le monde se tient là. Je suis un bon farteur, j’ai une réputation, tout le monde me connaît. C’est facile. Je me rends au bar, commande une bière, et le temps de me faire servir, une couple de filles sont déjà après moi pour que je leur enseigne les rudiments du ski de fond.

Ben non, c’est une farce! Luc Germain ne sort pas pendant les compétitions. Après sa journée de 16 à 17 heures, une autre journée de 16 à 17 heures l’attend. Dasha l’attend. Elle a placé toute sa confiance en son farteur.

Sans lui, elle ne gagnera jamais une course.

Jamais.

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