Frédérique Vézina : Construire sa force

Frédérique Vézina (photo: Jocelyn Vézina)

Frédérique Vézina (photo: Jocelyn Vézina)

J’arrivais par la petite route tortueuse qui débouche sur le lac Sergent. C’est le coin de paradis de Frédérique Vézina et sa famille, pas loin de Québec.

par pierre shanks

J’immobilise la voiture à une jonction pour choisir la bonne voie quand une dame sur la gauche me fait de grands signes. Ça ressemble pas à Frédérique, ça, à moins qu’elle ait coupé ses cheveux!

Annie Langlois, la mère de «Fred», comme tout le monde l’appelle, était venue me chercher «car rendu ici, c’est pas évident de trouver la bonne adresse». Ceux qui se demandent d’où Fred tient cette inébranlable assurance en elle n’ont qu’à serrer la main de sa mère.

Et Fred aura besoin de tout son plein de confiance pour la saison qui s’amorce. C’est que la saison dernière, à sa dernière année junior au sein de l’équipe nationale, elle n’a pas rempli les critères pour accéder à l’équipe nationale sénior. La question des critères peut devenir assez complexe merci à Ski de fond Canada, mais pour résumer, ça lui aurait pris un top 15 aux mondiaux juniors. Or, dans le skiathlon qui est sa course favorite, Fred, comme bien d’autres cette journée-là, a éprouvé des ennuis de fartage et a fini 30e. Donc, pas de top 15, pas d’accès direct dans l’équipe nationale sénior de développement, où se trouvent déjà ses coéquipiers du Centre national d’entraînement Pierre Harvey (CNEPH) Raphaël Couturier et Cendrine Browne. C’est un peu ingrat mais c’est comme ça.

Fred n’en fait pas une montagne, mais il y a une petite blessure sous la surface de cette athlète ultra compétitive. «Les critères de sélection, ils sont quelque part, mais je ne les lis pas. Je m’en fous! Parce que si tu commences à courir après les critères, ou les critères pour avoir un carding et ces affaires-là, ben tu creuses ta tombe, là! Moi, je cours pas après ça. Moi, je fais du ski de fond parce que j’aime ça. Si j’aimais pas ça, je serais pas là. C’est un engagement, c’est une job aussi, c’est juste ça que je fais.» Tout en poursuivant ses études dans lesquelles elle est, souligne sa mère, tout aussi ultra compétitive.

Frédérique Vézina (photo: Jimmy Gunka)

Frédérique Vézina (photo: Jimmy Gunka)

Elle et son entourage ont quand même pris le temps d’essayer de comprendre ce qui en retourne.

«L’année passée (à noter : la saison 2012-2013), j’ai fait des super courses, j’ai fait une première Coupe du monde, ça allait super bien, aux mondiaux (juniors) aussi, et à ce moment-là je n’étais pas au courant d’aucun des critères. Je skie pour skier parce que j’aime ça, et on grandit à travers ça aussi, mon dieu que t’apprends des affaires!

«Après ça, j’ai comme été plus au courant des critères de sélection, pis ça m’a fâchée d’être au courant de ça. Ça ne m’a pas permis de me faire sélectionner même si j’ai connu une super saison parce que les critères étaient telle affaire. Pas qu’on n’a pas essayé. Oui on a essayé. On a essayé de comprendre pour commencer pis après on s’est demandé si on pouvait faire quelque chose pour améliorer. En fait, c’est de l’énergie négative et à un moment donné, ben c’est ça. Quand tu as fait ce que tu pouvais faire pour essayer d’améliorer les choses, que ça change, ou que ça change pas, ben là il faut que tu lâches prise parce que tu perds de l’énergie là-dedans.»

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Annie Langlois and Jocelyn Vézina

Annie Langlois et Jocelyn Vézina

Louis Bouchard, l’entraîneur-chef du CNEPH et entraîneur national à Ski de fond Canada, n’en fait pas de cas. «Ils sont rares les athlètes qui accèdent directement à l’équipe nationale sénior. Fred, elle n’est pas en train de surmonter une défaite. Elle est en train de construire sa force. De toute façon, elle est habituée à ça. Ç’a toujours été comme ça pour elle, surmonter des obstacles.»

Le père de Fred, Jocelyn Vézina, fut coéquipier et cochambreur de Pierre Harvey lors des années ’80. Il est bien placé pour en témoigner, lui et Annie Langlois.

«Frédérique, quand elle était plus jeune, chacun a sa vitesse de croissance et il y avait des petites filles qui compétitionnaient contre elle qui grandissaient plus vite et je me rappelle entre autres les Jeux du Québec, où aux sélections ils en prenaient deux, et elle était la troisième… C’est arrivé à quelques reprises où elle manquait son coup et ratait un voyage pour des événements comme les Jeux du Québec. Il y a certainement eu une petite déception qu’elle n’a pas trop laissée transparaître, mais elle a tourné la page. Deux ans plus tard, elle a fait les Jeux du Québec et elle a tout gagné, que des médailles d’or», se rappelle Jocelyn.

«Frédérique est très déterminée, enchaîne Annie Langlois. Elle a une tête dure. C’est pas mal ça… (pause)… C’EST ça!! (rires) On baisse pas les bras facilement, on aime ça se donner des défis et Frédérique, elle est vraiment comme ça. Elle a été comme ça à partir de son tout jeune âge. Je me souviens, à 2-3 ans, elle essayait quelque chose, si elle échouait, elle recommençait tout le temps jusqu’à ce qu’elle réussisse. Elle a toujours voulu être en avant de tout le monde, elle est comme ça. Elle a cet esprit de compétition-là. L’esprit de compétition, je pense que c’est beaucoup son père, la détermination aussi, c’est sûr. Elle est très, très déterminée. Ce qu’elle tient de moi? Ne pas abandonner.»

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Frédérique Vézina à l'entraînement à Park City en compagnie d'Alysson Marshall, Dahria Beatty et Cendrine Browne

Frédérique Vézina à l’entraînement à Park City en compagnie d’Alysson Marshall, Dahria Beatty et Cendrine Browne

Fred se retrouve donc «simple» membre du CNEPH à sa première saison en tant qu’athlète sénior. Elle a 20 ans.

Le principal inconvénient est financier : «Oui, il y a une déception parce qu’à cause de ça, j’ai moins d’argent, concernant le carding, qui est moindre (NDLR: elle a obtenu le premier carding de sa carrière avec sa 30e place aux mondiaux juniors). À cause de ça aussi tu as un statut différent, alors quand tu appliques pour des bourses, eh bien moi je compte pas pour autant que les autres qui ont d’autres statuts (de l’équipe nationale), c’est certain.

«Mais tu vois, ce qui est le fun, c’est qu’il y a des bourses, et je suis très reconnaissante des bourses où ils veulent te rencontrer pour voir quel genre d’athlète tu es. Comme la bourse FIDA (Fondation d’investissement d’aide aux athlètes), j’ai été boursière cette année, et eux ils regardent ton cheminement académique, ton cheminement sportif et ton engagement communautaire.

«En tant qu’athlète, ce que je trouve important, c’est d’être équilibrée, tu deviens une meilleure personne en faisant ça comme ça. Heureusement que ces bourses-là sont là. Ça fait du bien de voir qu’eux autres, leurs critères sont plus humains que sur papier, tsé, parce qu’on est des humains après tout, hein, pis des fois on dirait qu’il y a des gens qui l’oublient.»

Tiens toi! comme dirait l’un. Dans tes dents! comme dirait l’autre. Ça sort tout d’un bloc. Frédérique Vézina a du caractère à revendre.

Et il y a aussi les précieux commanditaires personnels. «Je suis très chanceuse avec les commanditaires que j’ai. Ça fait trois ans que j’ai les mêmes, ils sont fidèles et je leur en suis très reconnaissante. Ce sont de super commanditaires. J’aurais pas pu tomber sur de meilleures personnes que ça. Ils viennent du milieu, ils comprennent très bien ce que je fais, qu’est-ce qui se passe, comment j’investis ça, et moi aussi je comprends leur réalité.»

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Frédérique Vézina

Frédérique Vézina

On pourrait par ailleurs penser que rater les camps d’entraînement estivaux de l’équipe nationale, ou du moins certains d’entre eux, lui causerait un retard par rapport aux autres. Or, il n’en est rien, affirme Louis Bouchard. «Elle vient tout juste (début septembre) de passer un test très difficile de puissance aérobique maximale. C’est six minutes de montée en skate sur notre piste asphaltée. Ses résultats sont comparables à ceux des deux autres filles du Centre (Cendrine Browne et Anne-Marie Comeau, celle-ci toujours dans l’équipe nationale junior). On voit une amélioration substantielle par rapport à l’an passé où, ne l’oublions pas, elle se remettait d’une mononucléose. Y’a beaucoup d’athlètes qui abandonnent leur sport après une mononucléose.»

Cette mono n’était qu’un autre obstacle dans le cheminement de Frédérique, dont la confiance envers le CNEPH, qui bâtit les programmes d’entraînement de tous ses athlètes, est totale.

«Le fait que je ne sois pas sur l’équipe ne change pas grand-chose pour Louis parce qu’il sait que je suis une personne indépendante, que je suis capable de me motiver par moi-même. Moi j’ai confiance en Louis, et je pense qu’il a confiance en moi et en son programme d’entraînement. Une fois que ça c’est là, je pense que tous les espoirs sont permis.»

Louis Bouchard est un entraîneur intègre, crédible et franc. Quand ça commence à moins bien aller, il ne se défilera pas. La «question à cent piasses» : as-tu toujours autant confiance en elle que quand tu nous l’as présentée il y a deux ans?

«Au-cun dou-te! J’ai la même, même pensée sur elle que quand je l’ai prise à 16 ans. Je vois les mêmes qualités sur son potentiel. Nous on en a trois (avec Browne et Comeau), on veut les trois en Coupe du monde.»

Il y en a qui rêvent à des objectifs, à devenir ceci ou accéder à cela. Pas Fred. Elle ne vit pas dans le rêve. «Depuis que j’ai commencé à skier que je veux faire ce que Pierre (Harvey) pis mon père pis Yves Bilodeau ont fait, parce qu’ils tripent et ils en parlent encore. Ils ont tellement de belles histoires et c’est ça que je veux vivre. La mienne, mon histoire, version plus jeune!»

Pour l’instant, Frédérique Vézina ne pense pas trop à ça, à «son» histoire.

C’est qu’elle a un obstacle à surmonter. Un autre.

Et elle est occupée à construire sa force.

Frédérique Vézina

Frédérique Vézina

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