Anne-Marie Comeau : La torpille

Comeau_Torpille_big

par Pierre Shanks

Debout en bordure de parcours, je regardais au loin et je l’attendais. Dossard 172. Elle entrerait dans la courbe normalement tout juste derrière le 171, propulsé par sa coéquipière Frédérique Vézina.

Comme de fait, les deux sont apparues l’une derrière l’autre, à pleine vapeur. Ce n’est pas à la couleur de sa tuque que j’ai reconnu Anne-Marie Comeau, c’est à sa façon de la porter. Elle doit bien être la seule skieuse au Canada à la porter aussi bas que ça sur le front. On ne voit même pas un bout de sourcil. Rien, niet. La tuque descend à ras les cils, de sorte que tout ce qu’on voit de loin, ce sont deux amandes ébène, comme deux torpilles qui s’apprêtent à tout faire sauter.

Son style, d’ailleurs, tient tout de la guerrière. Ce n’est pas de l’élégance, c’est de la furie. Anne-Marie Comeau n’est pas une skieuse du dimanche. C’est une athlète de compétition avec un ardent désir de vaincre. Ses mouvements sont impétueux. She digs, comme on dit en anglais. Un gros moteur.  Elle génère déjà une puissance impressionnante, malgré ses 16 ans.  Ce dimanche, elle chauffait les fesses de filles jusqu’à dix ans plus âgées qu’elle. Dix ans! Et elle a fini 8e. Huitième!

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Et ce n’est pas une guerrière à tomber facilement au combat. Ou même en croisant la ligne d’arrivée. «J’ai pas l’habitude de me pitcher à terre, m’avait-elle dit la veille en entrevue, ça me prend plus d’effort pour me relever! Mais… oui, je suis fatiguée», a-t-elle ajouté pour rassurer sur son humilité. Tellement pas le genre à se prendre pour une autre.

Il faut dire aussi qu’Anne-Marie ne manque pas de souffle. Elle est une redoutable coureuse de demi-fond qui détient le record canadien U 16 du 1200 m en 3:35:33, établi en 2011 aux Championnats canadiens jeunesse. Et à ces mêmes Championnats, à Charlottetown, elle a établi un record québécois au 2000 m en abaissant… sa propre marque.

En 2012, ses performances ont évidemment fléchi légèrement en passant aux distances adultes (U 18) : 6e au 1500 m et 3e au 3000 m, mais meilleure 16 ans dans les deux cas. L’heure des grands choix pointe à l’horizon. Un peu comme dans la vie amoureuse. Il y en a deux qui te courent après, et tu pourras pas sortir éternellement avec les deux. Dis, Anne-Marie, la course ou le ski?

«Je ne suis pas sûre à 100%, mais il y a plus de chances que je m’oriente vers le ski de fond. Il y a eu un déclic avec le ski de fond l’an passé. En participant aux mondiaux (impressionnant 18e rang au skiathlon 10 km), j’ai réalisé que j’aimais les compétitions internationales. Je peux me fixer davantage d’objectifs internationaux avec le ski de fond.

«Mais c’est sûr que je continue à courir dans mon entraînement!», ce qui est loin de déplaire à ses entraîneurs Godefroy Bilodeau et Louis Bouchard. Louis est d’ailleurs l’entraîneur d’Alex Harvey qui, à ses débuts, pratiquait lui aussi un autre sport, le vélo de montagne. Il a même participé aux mondiaux juniors avec l’équipe canadienne.

Évidemment, comme Anne-Marie vient du même patelin, Saint-Ferréol-les-Neiges, la question est inévitable. Alex a-t-il eu une influence sur toi? C’est un peu à cause de lui si tu fais du ski de fond? La réponse, franche, est aussi naturelle que les réponses d’Alex au même âge. «On faisait du ski alpin l’hiver. Nos parents nous ont fait essayer le ski de fond… j’ai adoré ça! J’étais très jeune, je ne savais même pas c’était qui, Alex Harvey!»

Chose certaine, elle skie aujourd’hui dans son sillon. Celui de la performance, de la force mentale et du très, très grand plaisir qu’elle éprouve à laisser ce sport s’imbiber dans ses tripes.

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Depuis l’été dernier, elle est membre du Centre national d’entraînement Pierre Harvey (CNEPH), qui est en train de devenir une véritable fabrique de champions, à voir aller ses coéquipiers et coéquipières de l’équipe nationale junior également membres du Centre.

Pour une skieuse de fond, elle est encore menue, à 16 ans. Dans 5, 6 ans, avec l’encadrement du CNEPH, c’est à peine si on la reconnaîtra. Son corps va se muer en une masse costaude et intimidante.

Dans 5, 6 ans, la Russe, la Finlandaise, la Norvégienne, quand elle va se retourner, c’est ça qu’elle va voir. Un sous-marin qui fond sur elle.

Si vous avez une chance, précipitez-vous. Vous pourrez dire que vous l’avez déjà vue skier de près. Et regardez bien ses yeux qui tombent de sa tuque, parce que ça, en compétition, toujours ça lui restera.

Ses torpilles.

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