
Cendrine Browne a terminé 1re U23 dans les trois épreuves à la Coupe NorAm de Duntroon (photo: skiplus.ca).
Cendrine Browne s’est présentée en janvier à la Coupe NorAm de Duntroon, en Ontario, avec la ferme intention de se qualifier pour les mondiaux. Cette fin de semaine de compétitions servait aussi de sélection pour les Championnats du monde juniors et U23. Il y avait trois courses au programme, un skiathlon, un sprint et un 10 km pas de patin et c’est ce 10 km dans sa spécialité, le skate, qui était dans sa ligne de mire.
Or, elle a terminé première U23 dans les trois épreuves!
Récit d’une fin de semaine magique et d’une athlète qui s’est élevée par sa volonté propre au rang d’élite.
Cendrine Browne : Papillon
Je m’étais installé le long de l’aire d’arrivée. Un bon endroit pour examiner les athlètes dans leur effort suprême en fin de course. Et tant qu’à y être, je pourrais souffler un petit encouragement à Cendrine Browne.
Cendrine était l’une des six skieuses de la finale A du sprint senior féminin. Elle va avoir atteint son objectif en se qualifiant pour la finale A, me disais-je, elle va probablement fermer la marche vers la 5e position. Cendrine est une spécialiste du pas de patin, ceci était en style classique, Cendrine se distingue davantage dans les épreuves de distance, ceci était un sprint.
Les skieuses descendaient une petite côte avant de se présenter à toute allure vers la ligne d’arrivée. Perianne Jones, de loin la meilleure sprinteuse au pays actuellement, est passée devant nous, seule dans ses pensées victorieuses, suivie d’Andrea Dupont, une autre vétérane. Puis derrière, mais qu’est-ce c’est, il y avait cette longue tresse d’or qui virevoltait tout partout. Cendrine Browne! Pourchassée par Emily Nishikawa, qui avait choisi la ligne intérieure et qui poussait furieusement, bouche ouverte, les dents serrées.
Cendrine y est allée d’une incroyable démonstration de double poussée qu’on ne lui connaissait pas. Elle a étiré le ski avant de plier sous la douleur. Troisième! Ça m’a laissé pantois.
Je ne l’avais pas vue du tout l’an passé, occupé par les JO, mais j’avais bien vu l’été dernier sur la photo ci-bas que Cendrine en avait pris énormément dans le haut du corps. Pas de doute, il y a sous roche du Charles Castonguay, le préparateur physique du CNEPH.
«Depuis qu’elle est arrivée au CNEPH, Cendrine a une courbe de progression impressionnante, raconte Charles. D’une jeune fille à la posture douteuse et pour qui la musculation ne voulait rien dire, elle est passée à une femme très forte, puissante, qui comprend à la perfection la mécanique de son corps, de chacun de ses mouvements.
«Cendrine est une des rares femmes qui répond très efficacement au programme de préparation physique, peut-être trop, parfois! Il faut comprendre que le développement de la masse musculaire chez une femme est très restreint, étant donné les faibles niveaux de testostérone dans leur corps. Cendrine est une exception! Cette année, l’objectif était justement de bien régulariser, de maximiser la préparation physique afin de ne pas prendre trop de masse, tout en demeurant très forte et puissante. Nous pouvons dire sans doute que l’objectif a été atteint!»
Rappelons que Charles Castonguay est l’un des préparateurs physiques les plus en vue au Canada. C’est lui qui a «monté» le physique de Dominique Maltais, deux fois médaillée olympique et cinq fois récipiendaire du globe de cristal en snowboard cross, de Karine Sergerie, elle aussi médaillée olympique et championne du monde, d’Alex Harvey, champion du monde et autres olympiens comme Seb Michaud et Francois Coulombe-Fortier.
«En ce moment, elle est probablement la femme la plus forte en muscu au niveau canadien, poursuit Charles, la seule la surpassant (dans l’ensemble) étant Perianne (Jones). D’ailleurs, même si Cendrine ne se spécialise pas en sprint, Perianne est un beau modèle de développement pour elle. Elles ont beaucoup en commun au niveau corporel et postural.
«L’objectif est de développer davantage la puissance et l’endurance de puissance de Cendrine, pour qu’elles ressemblent à celles de Perianne. La force, c’est bien, mais l’important est de bien la transférer en vitesse, donc en puissance. La force seule ne fait pas remporter de médailles. Déjà cette année, elle a fait beaucoup de progrès à ce niveau, la double poussée est devenue une force pour elle (haut du corps). Elle peut même battre plusieurs gars sur des sprints courts!»
De spécialiste à skieuse complète
Ses progrès sont tels que même si elle sera toujours plus à l’aise en pas de patin, il faut maintenant considérer Cendrine Browne comme une skieuse complète qui peut tirer son épingle du jeu dans toutes les situations.
On l’a d’ailleurs constaté lors du skiathlon à cette même Coupe NorAm, lorsqu’elle a réussi à se coller au derrière d’Emily Nishikawa, probablement la meilleure skieuse de distance au pays, pendant la première portion de l’épreuve en style… classique.
«Au départ, j’ai su vraiment bien me positionner, a précisé Cendrine au sujet de son skiathlon. Je suis restée derrière Emily Nishikawa, je me suis juste dit “il faut que je reste avec elle, il faut que je m’accroche, il faut que je reste avec elle” et c’est ça que j’ai fait. Je suis restée avec elle jusqu’au skate. Après ça, elle m’a pris un peu de distance, mais j’ai réussi à la rattraper après la première boucle de skate. Lors de la deuxième boucle, elle m’a repris de la distance et j’ai fini 2e, à 19 secondes. Mais on avait réussi à créer un gros gap par rapport aux autres filles dès le départ en classique.
«C’était vraiment une super course. De pouvoir courir avec une coureuse qui est allée en Coupe du monde, qui est allée aux Olympiques, c’est super. Aussi j’ai réussi à battre deux filles qui sont allées aux Olympiques l’hiver passé, Heidi Widmer et Brittany Webster.
«Je ne m’attendais pas du tout à finir deuxième derrière Emily Nishikawa. J’ai vraiment appliqué un conseil que Louis Bouchard m’a donné : de penser à chaque mouvement, chaque mouvement est important. Penser vraiment au moment présent. Il ne faut pas penser à la fin de la course, il faut penser que chaque mouvement qui t’amène à la ligne d’arrivée compte. J’ai pensé à ça et ça m’a vraiment aidée à rester focus, à bien pousser dans chaque côte et sur chaque plat.
«J’étais contente pour la sélection (NDLR : en finissant au 1er rang parmi les U23), mais je ne savais pas que j’allais l’obtenir dès la première course!»
Ses succès sont impressionnants et sa progression, rien de moins que fulgurante. Ses entraîneurs au CNEPH, François Pépin et Louis Bouchard, s’en réjouissent bien entendu, mais eux la regardent aller de près et ne sont pas surpris outre mesure que leur protégée subisse comme une nymphose cette saison. Le papillon sort enfin de son cocon.
«Effectivement, le constat après la saison dernière était qu’elle devait travailler plus techniquement sur son classique, dit François Pépin. Ses meilleures performances des dernières années sont pratiquement toutes en skate. On voulait ajouter une bonne charge de volume, pour refermer l’écart avec les filles devant, comme Heidi et Emily.
«Techniquement, la progression est super bonne, on a beaucoup travaillé sur son alternatif et comment bien kicker les skis de manière rapide et efficace, grâce à la nouvelle montée de la piste de ski à roulettes (au mont Ste-Anne), mais aussi sur la rapidité et la puissance du test de double poussée. Pour ce qui est du volume, elle a bien réussi le tout.
«Sa confiance est au sommet présentement et elle croit en ses capacités, ce qui fait toute la différence!»
L’entraînement spécifique, clé du succès
Trois mots reviennent sans cesse chez tous ceux à qui nous avons posé des questions sur Cendrine : passion, volonté, discipline.
Louis Bouchard, l’entraîneur-chef du CNEPH et entraîneur avec l’équipe nationale senior, apporte un autre point crucial. L’entraînement spécifique.
«Elle suit le programme avec une éthique incroyable, affirme Louis, ce qui fait qu’elle a les résultats qui viennent avec. Tout est relié à ses habitudes de travail. Elle suit le programme parfaitement. Le sport a beaucoup évolué. En musculation, elle a fait des progrès énormes. En entraînement spécifique sur skis à roulettes, elle a accumulé des heures et des heures et des heures d’entraînement, dans la même lignée qu’Alex (Harvey, dont Louis Bouchard est l’entraîneur personnel).
«Alex, c’est un athlète spécifique à notre sport, c’est pas un coureur «acquis» et c’est sûr que ça paraît, ça (faire de l’entraînement spécifique). Quand elle est rentrée au Centre, elle a respecté cette éthique de travail-là et aujourd’hui elle récolte ce qu’elle a semé. Cendrine a beaucoup de maturité, dans le sport et mentalement aussi. Elle sait très bien que le haut du corps est une priorité majeure dans notre sport maintenant plus que jamais.
«En classique, entre autres, elle s’est beaucoup améliorée parce qu’elle a fait beaucoup, beaucoup de ski à roulettes, beaucoup de technique, beaucoup d’entraînement du haut du corps, de pas alternatif, elle a travaillé cet aspect-là de façon incroyable.
«Il n’y a pas de secrets. Si tu veux améliorer quelque chose, tu dois l’améliorer dans le mouvement spécifique de ton sport, et c’est là où elle travaille beaucoup.»
Sacrifices
C’est bien connu, on n’a rien pour rien dans la vie. Vrai que Cendrine monte en flèche dans son sport, au point où en quelques années à peine, elle est maintenant la skieuse U23 numéro un au Canada. Mais cela s’est fait au prix de plusieurs sacrifices. Par-dessus tout, c’est son attitude qui impressionne.
«Elle est dévouée beaucoup, beaucoup à son sport, ajoute Louis Bouchard. Elle a fait de gros sacrifices pour venir s’établir à Québec, de partir de chez elle. Quand elle est arrivée, moi j’ai senti ça de Cendrine, elle est arrivée ici pour dire “OK, qu’est-ce que j’ai besoin de faire pour être la meilleure?” Elle est dévouée et elle a fait des sacrifices et ça, ça joue parfois dans le choix d’un athlète, l’athlète se dit, ok moi il faut que je m’expatrie, il faut que je parte de chez moi. Elle, elle est arrivée dans cette optique-là. Elle sait qu’elle veut devenir une skieuse de niveau international et elle fait les efforts pour.»
«Oui, j’ai dû quitter la maison pour déménager à Québec, confirme Cendrine. C’est sûr que la première année a été très difficile, mais je me disais que j’étais rendue là de toute façon. Mes amies d’école partaient de chez elles pour l’université. C’est sûr que ma famille et mon copain sont restés à Saint-Jérôme, mais je réussis à les voir quand même souvent et on s’ appelle tous les jours. Une chance, car je suis une fille qui s’ennuie!
«Un des autres sacrifices pour faire partie du CNEPH est qu’il faut être à l’école à temps partiel, car nous devons faire attention de ne pas trop éparpiller notre énergie et garder du temps pour la récupération. Nous devons également devenir responsables et autonomes, car maman n’est plus là pour faire ton lavage, ménage et épicerie…»
Cendrine a tellement bien appris ses leçons qu’à la Coupe NorAm de Duntroon, c’est elle qui a fait le ménage dans la catégorie U23!
Passion, volonté, discipline… et générosité
L’attitude. La passion. La volonté. La discipline. Le dévouement à l’entraînement. Cette athlète n’a que des qualités coudonc! Tiens, on peut rajouter la générosité. Elle nous a accordé une entrevue le dimanche après-midi tout de suite après la remise des médailles du 10 km senior féminin où elle a fini 2e (1re U23), en étirant son ski cinq centièmes de seconde plus rapidement que celui de Perianne Jones.
Cendrine était exténuée par son week-end de courses. Ça paraissait dans ses yeux. Visibilité tant que tu voudras, il y en a plusieurs qui seraient repartis directement à l’hôtel récupérer, ou qui auraient limité l’entrevue. Trois petites questions, deux petites minutes de réponses réchauffées et puis s’en va. Pas Cendrine. Elle s’est prêtée à quelques photos, puis à l’entrevue sur une chaise en métal dans un coin retiré de la boutique de location. Dix minutes, ce qui, dans les circonstances, est une très longue entrevue. Et après l’effort qu’elle venait de fournir, garder sa concentration et répondre intelligemment à toutes les questions ne relève pas du tout de l’évidence.
Quand je lui ai demandé d’en dire plus sur le fait qu’elle est devenue une skieuse complète, une réponse bien articulée a déboulé.
«Je pense que je suis une skieuse extrêmement disciplinée. Si les entraîneurs me disent de faire quelque chose ou de penser à quelque chose pendant que je skie, un petit point technique ou quoi que ce soit, je vais y penser. C’est ça qui va faire que je vais m’améliorer rapidement. Cette année, c’est ma sixième saison de ski, donc j’ai monté les échelons extrêmement rapidement et ça, c’est quelque chose qui n’arrive pas très souvent.
«C’est grâce à la discipline et surtout la persévérance. Le (style) classique, ça m’a pris quelques années avant d’arriver là où je suis en ce moment. Le classique, ça paraît pas, mais c’est extrêmement technique et c’est très difficile. Il y a le fartage, il y a la cambrure du ski qui entre en ligne de compte.
J’ai enfin compris comment bien appliquer la force sur le ski, bien faire le transfert de poids surtout.»
Cendrine Browne sort de son cocon, mais à seulement 21 ans, nous allons encore être témoins de quelques mues.
Quand enfin elle déploiera ses ailes pour voler haut, on verra quelles couleurs iriseront les pistes blanches.