À part de rares exceptions, tous les skieurs d’élite nord-américains passent par là.
Tu te retrouves en Europe, pas mal seul de ton clan, dans un peloton qui, lui, se connaît, a ses habitudes et sa culture. Et dont bon nombre de skieurs sont plus forts que toi. Tu es l’Étranger. On peut d’ailleurs dire la même chose pour les cyclistes d’ici. Tu as tout à apprendre et certaines journées, certaines courses, à certains moments, tu dois puiser tellement loin au fond de toi-même que tu découvres des forces que tu n’a jamais cru posséder.
par pierre shanks
Alexis Dumas vient de vivre à Madona, en Lettonie, sa première fin de semaine en Coupe scandinave.
Pour ceux qui ne connaissent pas la Coupe scandinave, c’est un niveau tout juste au-dessous de la Coupe du monde. Coupe scandinave obligeant, ça regorge de Norvégiens là-dedans. Et pour le reste, en majorité des Suédois et des Finlandais. Lors du 30 km pas de patin, dimanche, il y avait 61 skieurs au départ. Des 61… 43 étaient Norvégiens!
Les Norvégiens sont tellement forts en ski de fond que pendant ce temps, dimanche aux Championnats du monde à Falun, Marit Bjorgen, numéro un mondiale, n’a même pas pris le départ du sprint par équipe. Parce que les trois meilleures sprinteuses au monde sont Norvégiennes. Elle a pu siroter un délicieux petit Cappucino en signant des autographes pendant que ses coéquipières remportaient… la médaille d’or.
Alors, c’est un peu comme si on avait offert Alexis en pâture aux Scandinaves. Mais ce n’est pas ça bien sûr! Alexis Dumas a absolument besoin de ces courses et de ces expériences s’il veut passer au «niveau supérieur». Quand même, tu es loin de la tarte aux pommes à la mode de grand-maman.
Alexis nous a préparé un récit assez poignant de sa première expérience.
«Ma première expérience en coupe scandinave a été marquée par des hauts et des bas. J’ai beaucoup appris et j’en ressors sans aucun doute un meilleur skieur. L’approche européenne est bien différente et il faut s’adapter à courser dans une autre optique qu’au Canada.
«Premièrement, le calibre augmente d’un cran. Je dirais même de pas mal plus qu’un cran! C’est vraiment agréable, mais aussi déboussolant de courser contre des athlètes que l’on ne connaît pas du tout. Au Canada, tout le monde connaît les forces et les faiblesses de tout le monde; ici tu n’as aucune idée avec qui tu skies. Ça fait partie de la dynamique européenne qu’on ne peut pas vraiment reproduire au Canada.
La première course : 15 km classique
«Ma première course a bien été. Les conditions étaient très changeantes, la neige était de plus en plus lente et cela n’a pas joué en ma faveur étant donné mon départ très tardif (NDLR: 89e sur 103). J’ai bien parti, mais j’ai tout de suite su que j’avais pas ma forme des grands jours. J’ai skié avec un groupe le premier tour, mais le deuxième tour j’étais en solitaire et j’ai trouvé difficile de maintenir le rythme.
«Dans le troisième tour, le Norvégien derrière moi m’a rattrapé. Ça ma vraiment motivé et j’ai skié devant lui, tout le dernier tour à fond la caisse. C’était vraiment bon de se sentir bien à la fin d’une course comme cela. J’ai vraiment pu tout donner et je suis content de cela.
Alexis a pris le 72e rang. Ils n’étaient que 2 sur les 103 nés comme lui en 1995.
La deuxième course : 30 km pas de patin
«Ma deuxième course a été un effort solitaire incroyable. J’ai tombé en voulant éviter une chute devant moi et je me suis éraflé durement l’épaule sur une roche. Le retard était insurmontable et il restait encore 28 km à la course.
«La course était supposée être une bonne opportunité de pratiquer à skier en groupe. Pourquoi continuer alors? Parce qu’abandonner n’était pas une option. Quand je mets un dossard, c’est pour me donner au maximum, peu importe. Je ne suis pas inhumain, j’y ai pensé, mais je n’ai jamais abandonné, je ne saurais même pas comment faire et je ne veux pas le savoir.
«J’ai refocusé ma course mentalement pour oublier que la prochaine heure allait être de la pure souffrance. Je me suis imaginé aux Championnats canadiens dans le 30 km départ de masse skate, j’étais en échappée, c’est pourquoi j’étais tout seul. Je skiais pour la médaille d’or et j’écrasais la compétition. J’y ai cru pour environ 20 km, une distance que je suis plus habitué de faire.
«Les 10 derniers kilomètres par contre, je n’avais plus rien mentalement et physiquement. Chaque mouvement, mes jambes brûlaient au point ou je devais crisper le visage et serrer les dents. Les descentes étaient devenues de vraies aventures parce que mes jambes ne pouvaient presque plus me supporter, alors encore moins tourner.
«Finalement j’ai passé la ligne d’arrivée, loin derrière tout le monde, mais je l’ai passée quand même.»
Alexis a fini dernier, 61e. C’est cette course-ci, encore plus que la première, qui lui apporte une expérience inestimable.
«Je repars de cette fin de semaine avec l’impression de mieux connaître le style de course en Europe et de mieux skier dans les conditions de klister chaudes et humides, ajoute Alexis. Je pense aussi que j’apprends beaucoup sur le mode de vie d’un skieur à plein temps en Europe et comment vivre dans les hôtels de toutes sortes.
«J’ai fait une rencontre très agréable, le gars qui m’a rattrapé dans le dernier tour de la course de classique est le frère de Thérèse Johaug. Nous avons parlé après la course, il était très content du lift que je lui avais donné dans le dernier tour et moi très content de parler à un membre de la famille de la meilleure skieuse de distance au monde. Le lendemain, il est venu me voir pour me saluer avant la course. C’est toujours bon d’avoir des contacts dans une famille comme celle-là!»
Dans cinq ans d’ici, Alexis Dumas sera vieux, il aura des cheveux gris, des pincettes aux hanches et la peau toute ratatinée. Mais non, mais non! C’est une farce!
Dans cinq ans d’ici, Alexis Dumas relira son récit d’aujourd’hui. Il sourira.
C’est extraordinaire de pouvoir vivre une vie d’athlète.
Et comme lui, d’un athlète d’élite.