Les courbes tombales

Nordiq Canada traverse une crise de leadership depuis l’absence d’un directeur haute performance digne de ce nom. L’actuelle composition de l’équipe nationale sénior en est l’expression la plus sombre.

par pierre shanks

Nous avons eu beau tourner et retourner les explications du directeur général par intérim, Stéphane Barrette, aucune ne justifie de former une équipe nationale sans ses meilleurs éléments.

Nordiq Canada doit bien être la seule fédération sportive au monde dont la sélection nationale n’inclut pas ses meilleurs athlètes.

Dans un récent vidéo sur la page Facebook de la fédération, Barrette offre des explications laborieuses. Il parle d’un processus “assez élaboré” de consultation auprès d’un comité haute performance de 18 personnes où il y a une “bonne représentation”. Ce comité produit des critères, et “c’est tout simplement ces critères-là qu’on applique le printemps (…) C’est pas juste une personne qui décide ça. C’est en collaboration et en consultation avec toute la communauté.”

Or, le mandat du comité haute performance est ainsi exposé sur le site web de Nordiq Canada (en anglais car ce n’est pas [encore?] disponible en français…):

The Committee’s role is limited to providing advice and support to the High Performance Director and the CEO. For greater clarity, the High Performance Director and the CEO shall not be bound by advice from the Committee. The Committee shall endeavour to make recommendations by consensus.

Nous faisons face à une gestion technocratique du ski de fond canadien de haut niveau, sans égard aux athlètes à proprement dit. D’ailleurs, l’introduction du vidéo en est éloquente. Évoquant la principale question posée par les amateurs, Stéphane Barrette fait allusion sans les nommer à “trois athlètes féminines qui ont gagné des points de Coupe du monde cette dernière saison”. On parle ici de trois des quatre meilleures athlètes de l’équipe nationale, Cendrine Browne, Katherine Stewart-Jones et Maya MacIsaac-Jones, qui ont récolté (avec Dahria Beatty) les meilleurs résultats du Canada tant en sprint qu’en distance, hommes et femmes confondus!

On ne sait pas qui exactement fait partie de ce comité (il n’y a pas de liste publique), mais nous avons appris qu’on est loin d’un consensus sur la décision d’écarter de l’équipe féminine sénior trois de ses quatre meilleures skieuses (deux maintenant depuis que Katherine Stewart-Jones a gagné son appel contre Nordiq Canada). Au bout du compte, cette décision revient à une seule personne, soit au directeur haute performance ou en son absence, au directeur général, en l’occurence… Stéphane Barrette.

Nordiq Canada a élaboré des “courbes de progression internationale” de performances par rapport à l’âge pour déterminer qui écarter de l’équipe nationale, question de budget dit-elle. “Gold medal profile curve” explique Barrette en anglais (le gras est de nous). Avec à la clé des “critères élevés” reposant sur des objectifs à long terme de deux médailles aux Jeux de 2026 et de top 6 au classement des nations de la Coupe du monde 2026.

Katherine Stewart-Jones - (photo: Skiplus)
Katherine Stewart-Jones – (photo: Skiplus)

Le résultat est hallucinant. Au bout de ce processus, Nordiq Canada, dans l’année préolympique qui s’amorce, retire sa confiance et son appui financier (crucial) à trois des quatre meilleurs athlètes au pays, hommes et femmes confondus.

En y regardant de près, ce système de courbes sert de justification à Nordiq Canada pour retirer son appui aux athlètes de plus de 23 ans en qui on n’a plus confiance de réaliser des performances de podiums internationaux. Ce système repose sur du négativisme. Arrivés à 23-24 ans, on n’encourage plus les athlètes, même les meilleur(e)s, dont les résultats ne s’insèrent pas dans les “courbes de progression internationale vers la médaille d’or”. Doit-on s’étonner que ce “système” s’attire des critiques?

Et comment trois femmes font les frais de cette décision? C’est que depuis l’an passé, Nordiq Canada a décidé de regrouper en une seule équipe nationale tous les juniors, U23 et séniors, ce qui lui permet d’ajuster plus facilement l’équité des sexes à l’intérieur de l’équipe.

Cette décision du regroupement des catégories est nébuleuse. Plusieurs sources nous ont affirmé que sur les 18 membres du comité haute performance, il n’y a vraiment qu’une seule femme. Il y en a une 2e, la représentante des athlètes de l’équipe nationale (Katherine Stewart-Jones), mais elle n’a pas voix au chapitre sur les questions de sélections bien entendu.

Ça donne seize hommes contre une femme. Nous n’avons certainement pas la même définition de “bonne représentation” que Nordiq Canada…

Quoi qu’il en soit, la décision remonte à l’an passé et des sources nous ont affirmé que lorsque les documents ont été envoyés aux membres du comité, la décision de regrouper les âges avait déjà été prise et que celle-ci n’a pas été discutée au sein du comité.

Cela fait donc en sorte que Nordiq Canada comptait une équipe nationale sénior de 5 hommes contre 2 femmes. Mais on ne peut évoquer de sexisme, car voilà, on avait placé 5 femmes contre 2 hommes dans l’équipe nationale junior! L’équipe nationale est donc globalement parfaitement équilibrée! Le tout présumément en “consultation” avec un comité de 16 hommes contre 1 femme.

Depuis le gain en appel de Stewart-Jones, les séniors comptent dorénavant 5 hommes contre 3 femmes. Nordiq Canada a depuis rajouté un 3e homme chez les juniors.

Autre point. Katherine Stewart-Jones, Cendrine Browne et Maya MacIsaac-Jones étaient toutes les trois sur une lancée en 2e moitié de saison l’an dernier. Meilleures performances personnelles, meilleurs résultats canadiens, les TROIS cognaient à la porte du top 20 en Coupe du monde quand la pandémie a mis fin prématurément à la saison. Nordiq Canada a choisi sans explication logique d’ignorer cette “courbe de progression” en ne tenant pas compte que les dernières épreuves se tenaient au Canada et que les trois avaient monté leur pic de forme en conséquence.

Cendrine Browne - (photo: Mario Walker)
Cendrine Browne – (photo: Mario Walker)

Le conseil d’administration de la fédération, composé de braves volontaires, a bien agi en écartant Shane Pearsall, dont l’une des plus graves erreurs aura été de ne pas mettre sous contrat Pierre-Nicolas Lemyre comme directeur haute performance. Lemyre (qui a depuis subi un AVC), docteur en psychologie du sport, n’aurait jamais orchestré un tel désastre. Malheureusement, malgré sa bonne volonté, le conseil a remplacé un autocrate par un technocrate.

Il eut pourtant été si simple pour un nouveau directeur général de réparer les pots cassés. En comprenant qu’on ne peut pas passer outre les Jeux olympiques de 2022 au profit de ceux de 2026. Pas quand on a à coeur les athlètes dont c’est le rêve et qui travaillent comme des forcené(e)s pour représenter dignement le Canada, même s’ils ne monteront pas sur le podium.

En comprenant qu’une équipe, ça se bâtit à partir de ce que tu as, pas à partir ce que tu penses que tu pourrais avoir dans 6 ans.

En comprenant que la meilleure façon d’établir son leadership est de dresser un plan qui ralliera les troupes autour d’objectifs communs et réalistes à court, moyen et long termes.

En lieu et place, Nordiq Canada a choisi l’affrontement, comme en témoignent les appels de Stewart-Jones et Browne (elle aussi a fait appel et on attend la décision). La fédération se met à dos celles qu’elle va vraisemblablement être forcée d’appuyer aux Jeux de 2022. Ces “courbes de la mort”, improductives, sont une entrave au développement de l’équipe canadienne.

Rejetées par l’équipe nationale, presque toutes les meilleures skieuses séniors au Canada sont réduites à combattre leur propre fédération pour poursuivre leur chemin.

C’est pitoyable.

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One thought on “Les courbes tombales

  1. Pingback: Biathlon Canada donne l’exemple | Skiplus

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