La dernière boucle de Cendrine Browne

Cendrine Browne (photo: Nathaniel Mah)
Cendrine Browne (photo: Nathaniel Mah)

Cendrine Browne avait attiré l’attention aux Fondeurs Laurentides. Au CNEPH, elle l’aura retenue pour de bon.

par pierre shanks

Vous avez pu lire la nouvelle et ses réactions lorsqu’elle a annoncé sa retraite sportive à l’issue des Championnats canadiens. C’est très bien résumé ici par notre collègue de La Presse Nicholas Richard (https://www.lapresse.ca/sports/sports-d-hiver/2022-04-13/retraite-de-cendrine-browne/fiere-comblee-et-reconnaissante.php).

Cendrine a vécu une montagne d’émotions lors des canadiens. Elle a accepté de nous raconter lors d’un appel vidéo la toute dernière journée de sa carrière, où les émotions ont fini par la submerger, à l’extérieur d’un bar de Whistler.

Ce texte est à lire comme une autobiographie, légèrement retouché à des fins de clarification. Nous avons reproduit son récit des événements le plus fidèlement possible. Les notes de rédaction sont entre parenthèses. Le “on” est parfois utilisé comme un “nous” avec accord au pluriel. L’action se déroule le dimanche 27 mars, dernier jour des Championnats avec au programme l’épreuve de distance (45 km) en style libre.

Cendrine Browne et Laura Leclair -(Source: Facebook, page d'athlète)
Cendrine Browne et Laura Leclair (Source: Facebook, page d’athlète)

I – LE RÉVEIL

J’ai mal dormi cette nuit. J’étais quand même stressée. Je ne sais pas si c’était parce que c’était ma dernière course, ou parce que c’était la 1re fois que je faisais un 45 km, mais j’étais nerveuse. Laura aussi en fait, ma coéquipière (les filles du CNEPH, Cendrine, Laura, Liliane et Tove logeaient dans la même unité, chacune dans leur chambre).

Tove était levée, mais j’étais dans les premières, levée avant mon alarme parce que j’étais stressée. Je me suis fait un café, j’ai mangé un gruau, c’est ce qui me soutient le mieux pour les longues distances. Laura arrive dans la salle à manger: “Ah j’ai vraiment mal dormi! Je suis très stressée.”
-Moi aussi je suis stressée, j’ai mal dormi aussi.
On s’est dit c’est pas grave, on se reposera plus tard. Liliane faisait juste 22km, mais elle était nerveuse aussi parce qu’elle voulait gagner la course.

On s’est posé des questions sur le 45 km, pourquoi c’était comme ça, de l’égalité des sexes, de l’importance que cela avait et que tsé, on s’était battues pour ça, pis que oui, ça semblait beaucoup, mais c’était un grand pas vers l’avant. Ça, c’est quelque chose qui me motivait, de faire la même distance que les hommes.

J’ai préparé mon sac pour la journée, avec beaucoup de vêtements dedans car on annonçait 100% de pluie.

Un autre petit indicateur de stress, Laura était prête avant tout le monde alors elle est sortie chercher l’auto. Moi j’étais un peu plus lente ce matin-là, j’étais même quelques minutes en retard (rires)! Je me demandais est-ce que j’ai oublié quelque chose, est-ce que j’ai tout emmené? Je me suis aussi préparé un lunch pour après la course, 45 km c’est long, il faut que tu manges après.

On est parties et c’est Laura qui conduisait. On s’est dirigées vers le centre de ski. On habitait au village à Whistler; le centre de ski c’est au Parc olympique à environ une demi-heure. Il y avait de la nervosité dans l’air et aussi un peu de fatigue je pense. Les filles semblaient fatiguées, moi incluse. Il y avait de la musique, mais toute la semaine les filles avaient mis de la musique un peu plus… plus pour se motiver et se mettre “dedans”, mais là la musique était un peu moins rythmée, un peu plus douce. Je sais pas, c’était Liliane la DJ. (rires)

On est arrivées au centre de ski et encore une fois, on a fait mention qu’on était un petit peu nerveuses… 45 km…

Cendrine Browne et Laura Leclair -(Source: Facebook, page d'athlète)
Cendrine Browne (Source: Facebook, page d’athlète)

II – L’AVANT-COURSE

Avant un 30 km, je m’échauffe seulement comme 30 minutes, question de ne pas trop perdre d’énergie; 45 km c’est tellement long que tu n’as pas besoin de beaucoup d’échauffement.

Je suis allée dans la salle commune où tous les athlètes se changent. J’ai mis mes bottes, mon manteau de pluie, mon pantalon de pluie.

Dahria est venue derrière moi, elle m’a pris les épaules: “Eille, dernière course!” Pis là j’étais comme “Ahhh, oui…”

Ben… c’est ça (gorge nouée). J’ai réalisé… ouin, c’est vraiment ma dernière course.

J’en avais juste parlé à mes amis. Personne d’autre ne le savait vraiment. Ça en a surpris plus d’un quand ç’a été annoncé au micro lors de la remise des médailles.

On est parties pour s’échauffer, j’étais avec Laura et Liliane. On a testé des paires. J’ai fait des “glide out” (tests de glisse) avec Laura. Vu qu’on est du même poids, c’est plus facile qu’avec un farteur, et eux étaient occupés avec la course des hommes, alors on s’est entraidées pour ça et on a choisi nos paires les plus rapides.

J’ai rapporté mes skis à la salle de fartage pour qu’ils les préparent pour la course et j’ai donné le gel que je voulais prendre, dans le fond, c’est du sirop d’érable, du glucose!

Puis je suis allée m’échauffer, j’ai fait un petit peu d’intensités, des accélérations pour activer mes muscles. J’ai encouragé les gars qui passaient dans leur 45 kilos.

J’ai vu Marie Corriveau, une de mes bonnes amies, en me dirigeant vers le départ. Je lui ai dit on se voit sur la ligne de départ. Elle m’a répondu on se reverra peut-être pas, moi je suis plus en arrière! (rires) Marie, elle est toujours comique!

J’ai récupéré mes skis de course à la salle de fartage. J’étais concentrée sur ma course. Je savais dans mon coeur que j’allais arrêter, je l’avais dit à mes amis proches et à mon entraîneur (Louis Bouchard), mais je n’avais rien annoncé et j’étais concentrée sur les Championnats canadiens. J’étais dans le moment et je faisais ma préparation habituelle pour livrer ma meilleure performance en course.

Louis m’a dit c’est la même chose que d’habitude. Tsé, Louis, il n’aime pas trop ça les longues rencontres, et j’avais déjà mon plan, comme d’habitude, comme Louis a dit! (rires) Je voulais rester avec le peloton de tête le plus longtemps possible, de travailler avec ces filles-là. Je ne savais pas vraiment comment cela allait se passer parce que c’est la 1re fois que je faisais un 45 km. Je sais à quelle vitesse je vais dans un 30 km, mais un 45, je ne savais pas trop, mais je savais que c’était la même chose pour les autres filles pis qu’on allait le découvrir ensemble.

Je savais aussi que je voulais bien gérer mon énergie, bien m’hydrater, bien manger pendant la course. Je voulais bien skier techniquement.

Je suis allée me changer avec Laura dans la salle commune et là on a décidé comment on allait s’habiller pour la course parce qu’il pleuvait. Il ne faisait pas froid, mais il pleuvait. Dahria nous a dit que elle, elle portait des combines parce que même s’il ne faisait pas froid, on allait être détrempées et on allait prendre froid; on ne voulait pas perdre d’énergie à se réchauffer pendant la course. Alors on allait porter des combines même s’il faisait comme 8°.

On s’est dépêchées à se rendre vers la ligne de départ. On a eu le temps d’enlever nos survêtements, mettre notre puce et se diriger vers notre place attitrée. J’étais no 8.

Katharine Ogden, une Américaine, s’est placée à côté de moi à son endroit attitré. Elle portait un tutu par-dessus sa combinaison de course. Elle aussi c’était sa dernière course, c’était une façon de célébrer!

Les filles ont parlé un peu. Moi j’aime ça parler avant le départ pour se déstresser. Oui je suis dans ma bulle, mais j’aime ça jaser pour enlever le stress. Portez-vous aussi des combines en dessous de votre suit? Oui!

Là, la personne qui gérait le départ… “Une minute”. Là tout le monde s’est tu et s’est placé. “Trente secondes”… puis le départ a été donné.

Cendrine Browne (capture d'écran)
Cendrine Browne (capture d’écran)

III – LA COURSE

On s’est élancées. La piste était un peu molle, mais c’était pas si pire que ça. Par contre, j’ai été surprise par les descentes et les virages dans les descentes étaient difficiles parce que c’était vraiment mou et les gens qui avaient coursé avant nous avaient freiné et tassé la neige alors c’était de la glace en dessous.

Je n’ai pas bien pu prendre les virages dans mon 1er tour. Il y avait une Américaine dans le peloton (Rosie Frankowski) qui avait vraiment de la misère dans les descentes. Elle pouvait clairement faire tomber les gens alors mon objectif était de toujours descendre avant elle pour ne pas être prise derrière elle, car elle freinait tellement qu’elle devait sprinter après les descentes pour retrouver le peloton. Je me suis dit, je ne suis pas intéressée à perdre de l’énergie comme ça.

J’ai déjà skié avec ces filles-là en Coupe du monde, je savais derrière qui je devais skier et je savais que elle, elle avait plus de misère dans les descentes.

Après le 1er tour, j’ai vraiment bien négocié les descentes. Les deux, trois premiers tour ont bien passé. On a perdu Dahria au 2e tour. Rosie s’énervait un peu dans les plats. Elle demandait si on était en train de prendre une pause car elle trouvait qu’on n’allait pas assez vite dans les plats et les montées. Elle, elle donnait des coups pendant la course; elle donnait des coups dans les montées, dans les descentes elle ralentissait, elle donnait des coups… bref, ça, ça lui appartenait, mais ces coups me coûtaient de l’énergie chaque fois.

Au troisième tour, j’ai commencé à sentir la fatigue, après avoir leadé pendant peut-être 2 kilos. J’ai pris un relais, parce qu’on prenait toutes des relais, mais j’ai commencé à être vraiment fatiguée. Rosie a donné un coup dans une montée. Là j’ai pris un gel. 

Je me suis dit oh, oh, c’est juste la moitié de la course et je suis déjà rendue à prendre un gel. Ça m’inquiétait un peu, mais je me suis dit que je dois continuer à bien m’hydrater, à prendre tous les feeds possibles et au pire je demanderai un autre gel plus tard. 

Le 4e tour a mieux été parce que je venais de prendre un gel et je l’ai vraiment senti dans mes jambes lorsque j’ai monté la grosse côte. Soulagement, je suis correcte finalement! 

La fatigue est revenue s’installer au 5e tour. J’ai commencé à décrocher dans la grosse montée, les filles m’ont pris un petit “gap”. Ah non! Il faut vraiment que je recolle pour pas skier toute seule. J’ai réussi à recoller dans les descentes et sur les plats. J’étais de retour avec le peloton mais ça m’avait pris beaucoup d’énergie les rattraper. J’ai demandé à Camille (Cheskey, entraîneur au CNEPH) as-tu un autre gel? Il m’a dit oui et il l’a préparé pour quand j’allais repasser. 

Fait que là j’ai pris un autre gel, mais malheureusement j’étais trop fatiguée, il me manquait trop de glucose, le gel n’a pas aussi bien fonctionné que la première fois.

À mon dernier tour, je me suis retrouvée toute seule. Louis (Bouchard) m’a dit concentre-toi sur ta technique, chaque mouvement est important. Même si j’étais vraiment fatiguée, au lieu de me concentrer sur ma fatigue, sur mes jambes qui brûlaient, je me suis concentrée sur ma technique et mes mouvements, à bien respirer. 

J’ai terminé la course en douleur, j’avais vraiment mal au dos, j’avais le dos barré dans le dernier tour, comme… (gorge nouée). Je devais pas faire des belles faces car ça faisait tellement mal. J’ai descendu la dernière côte pour aller vers le finish. Je commence mon sprint final et je vois tous les gars du Centre avec d’autres gars du Rouge et Or je pense, ils font une haie d’honneur avec des skis et des des bâtons et ils avaient tous pas de gilet, ils étaient torses nus sous la pluie, sur la piste, ils avaient demandé l’autorisation à l’organisation, et ils criaient! 

Ils faisaient une haie d’honneur pour les athlètes qui prenaient leur retraite. Ça m’a fait vraiment sourire. J’ai sprinté jusqu’à la ligne d’arrivée où je me suis effondrée, complètement épuisée, vraiment au bout de mes ressources. Je voyais flou, j’étais vraiment étourdie dans mon dernier tour.

J’aurais aimé ça être avec le peloton jusqu’à la toute fin, c’était mon objectif, j’ai tout donné mais j’ai pas réussi. Mais c’est correct, j’étais vraiment fière de moi d’avoir tout donné. Je ne peux pas demander mieux, quand tu donnes ton possible.

Ça c’est vraiment quelque chose que j’ai appris au fil des années et qui m’a permis d’avoir plus de plaisir, de franchir la ligne d’arrivée et d’être fière de soi et de son effort; c’est ça le plus important.

Cendrine Browne et Maya MacIsaac-Jones
Cendrine Browne et Maya MacIsaac-Jones

IV – ÉMOTIONS, ACTE 1

Je ne me rappelle plus qui a enlevé mes skis, je n’étais juste pas là. Je pense que c’était Rosie Frankowski justement, qui est une de mes amies. Elle a enlevé mes skis et elle m’a dit “C’était dur, hein?” On a parlé de la course, combien c’était le fun par contre.

C’est vraiment une belle communauté. Les Américaines, ce sont mes amies. On s’est tellement côtoyées en Coupe du monde, on a créé de belles amitiés avec ces filles-là. Elle m’a dit qu’elle avait vraiment eu de la misère dans les descentes; je lui ai dit oui j’ai vu ça! Comme elle avait perdu beaucoup d’énergie à rattraper les filles dans les descentes, elle n’était pas avec elles pour le sprint final (Frankowski a fini 3e, derrière Julia Kern, la gagnante, et Caitlin Patterson).

Je me suis relevée, mon dos était complètement barré, j’ai boitillé jusqu’à Maya (MacIsaac-Jones) qui était de l’autre côté de la clôture. Elle me regardait et me disait bravo. Je lui ai juste comme donné un câlin et j’ai commencé à pleurer. Elle voulait juste me tenir vraiment fort pis… ouais, c’est ça… c’était… (gorge nouée). Je pleurais parce que j’étais tellement épuisée, j’étais juste à bout. Et après ça je pleurais parce que c’était fini. C’était plein d’émotions en même temps.

Il y avait tout proche Laurence Dumais, des Fondeurs Laurentides. Elle m’a donné un câlin aussi, mais je suis quand même retournée dans les bras de Maya. Je tremblais de tout mon corps. J’avais vraiment un manque de glucose. Une fan m’a donné des “mini eggs” (rires) et là je me suis sentie instantanément mieux!

J’ai pris des photos avec des fans, j’ai signé des tuques, des buffs d’enfants qui sont venus me voir à l’arrivée.

Je suis allée voir Dahria. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas de jambes aujourd’hui. Et puis Laura est rentrée. Je suis allée la voir, je lui ai enlevé les skis. Elle a commencé à pleurer dans mes bras, et puis là les deux on pleurait. On était vraiment émotives, les deux!

J’ai oublié de dire que j’ai levé les bras à l’arrivée parce que je savais que j’avais gagné chez les Canadiennes!

V – ÉMOTIONS, ACTE 2

Nordiq Canada prenait des photos de nous, le photographe sur place aussi. J’ai fait une entrevue avec Nordiq Canada et là il m’a demandé si Laura et moi pouvions aller à notre salle de fartage et je vais vous filmer. Je lui ai demandé est-ce que je peux aller me changer, je suis vraiment mouillée, j’ai froid. Il a dit non, ce serait mieux que vous alliez maintenant, ensemble. Alors on s’est dirigées vers la salle de fartage. L’équipe de Maya lui avait fait une pancarte, j’imagine qu’il pensait qu’il y aurait des célébrations et tout.

Nous sommes arrivées à la salle de fartage et les gars (coéquipiers et autres) nous on serrées dans leurs bras, il nous ont félicitées, moi et Laurence on pleurait, puis là Liliane nous a serrées aussi, on pleurait! (rires) Je pense que Nathaniel (Mah) a pris ça en images.

Louis (Bouchard) m’a serrée dans ses bras. Il a dit: “C’était vraiment une belle carrière!” Je lui ai répondu merci à toi, Louis, de m’avoir fait vivre tout ça. J’avais les yeux mouillés. J’ai eu les yeux mouillés toute la journée, toute la semaine même!

Après, les gars se sont dépêchés. Ça n’a pas duré longtemps. Je me suis dit, ah, c’est déjà fini! C’est que Tove (Halvorson) s’en venait, il fallait lui faire une haie d’honneur à elle aussi! Laura et moi on a suivi vers la haie d’honneur, on a célébré Tove à son tour parce qu’elle aussi prend sa retraite.

J’étais congelée, je commençais à trembler.

Nous étions toujours dehors. Ils nous ont donné chacun une bouteille de champagne (Laura, Cendrine, Antoine Briand, Maya, Philippe Boucher). Nous avons débouché toutes nos bouteilles en même temps et nous avons servi un verre à tous nos coéquipiers et même des personnes du Rouge et Or qui étaient là sous notre tente. Nous avons fait un toast et tout le monde célébrait avec nous. C’était un beau moment.

Cendrine Browne et coéquipières (Source: Facebook, page d'athlète)
Cendrine Browne et coéquipières (Source: Facebook, page d’athlète)

VI – LILIANE NOUS A “ICÉS”!

Laura et moi avions trop froid, on est allées se changer. Nos bottes étaient détrempées, il y avait comme un lac dans mes bottes.

J’ai ouvert mon sac et Liliane (Gagnon) l’avait “icé” (il s’agit de placer un breuvage alcoolisé à base de vodka dans le sac à l’insu de la personne visée). La tradition veut que dès que tu vois une bouteille de ça, il faut que tu la “cales” à genoux! (rires) Elle avait écrit une petite note dessus: tu te fais “icer”, mais il faut une preuve à l’appui! Laura aussi s’était fait “icer” et toutes les personnes qui prenaient leur retraite.

Avec Laura on s’est dit qu’au lieu de le faire à l’instant même, on va le faire devant elle. On a pris le temps de se changer et on est retournées avec les autres (Laura en avance). Phil a dû la boire tout de suite en ouvrant son sac. Quand je suis arrivée, Antoine (Briand) était en train de le faire. Là tout le monde m’encourageait, c’est pas facile caler ça! (rires) C’était moins dur pour Antoine parce qu’il n’avait pas coursé. Mais j’ai appris plus tard que c’était la bouteille de Laura, qu’elle n’était pas capable de caler!

Là tout le monde criait c’est à ton tour! Léo (Grandbois) a décapsulé ma bouteille avec ses dents! Là je me mets à genoux et je commence à la “caler” et… je sais pas… j’ai réussi à le faire! (rires) Tout le monde était vraiment impressionné et il y en a qui ont dit, Philippe Boucher je pense, que c’était plus impressionnant de regarder ça que d’avoir regardé ma course! (rires) Alexis Dumas a dit là tu es prête pour la vie universitaire, tu n’auras aucune misère!

Dahria Beatty, Katherine Stewart-Jones, Cendrine Browne (photo: Facebook, page d'athlète)
Dahria Beatty, Katherine Stewart-Jones, Cendrine Browne (photo: Facebook, page d’athlète)

VII – L’ANNONCE PRÉMATURÉE

On a fait notre sac à skis et on s’est rendues à la remise des médailles.

On a pris des photos sur le podium. Laura en voulait une de juste nous deux, on a fait ça et au moment de débarquer du podium, Dahria va voir l’annonceur et lui dit Cendrine prend sa retraite. Jacques Galarneau, l’annonceur, m’approche: “On me dit que tu prends ta retraite? Est-ce correct si on en parle?”

J’ai senti que je n’avais plus vraiment le choix, j’ai dit oui. Il m’a demandé (dans le haut-parleur) comment c’était de finir ma carrière avec un titre de championne canadienne? J’ai répondu ça ne peut pas mieux boucler la boucle que ça, je suis vraiment heureuse, ça finit super bien ma carrière. J’ai fait des remerciements à ceux qui m’ont entourée et aux fans. Lui était super émotif aussi, il avait les yeux pleins d’eau. Moi aussi!

J’ai remercié Dahria de lui en avoir parlé. Au début je ne voulais pas en parler, mais en même temps c’est le fun de se faire célébrer, d’avoir les gens avec qui j’ai passé toutes ces années-là avec moi pour célébrer.

Par contre, c’est sûr que j’aurais aimé ça l’annoncer moi-même, avant que Nordiq Canada fasse un communiqué. J’aurais vraiment aimé ça que ça vienne de moi avant, parce que là il y a beaucoup de gens qui sont surpris, qui se demandent si c’est vrai. J’aurais aimé ça l’annoncer moi-même mais bon…

Jacques, l’annonceur, est revenu me parler pour me dire je m’excuse, j’étais vraiment émotif tantôt et j’ai oublié de te demander quel avait été le meilleur moment de ta carrière; je vais te le demander plus tard à l’annonce des cumulatifs des Championnats canadiens.

C’est sûr qu’il y a eu tellement de moments importants dans ma carrière et de beaux moments… Je pense que le sommet de ma carrière a été ma 16e place aux Jeux olympiques. Ça, ce fut vraiment un moment spécial.

Il a ensuite parlé à Laurence Dumais, une skieuse des Fondeurs Laurentides qui elle aussi prend sa retraite.

Cendrine Browne (capture d'écran)
Cendrine Browne (capture d’écran)

VIII – ULTIME ERREUR DE NORDIQ CANADA

Là, on s’est dépêchées (Laura et Cendrine) de retourner à l’hébergement pour prendre des douches avant la prochaine cérémonie, la cérémonie du cumulatif des Championnats canadiens. La majorité des athlètes sont restés sur place, mais nous, nous avons décidé qu’on allait prendre une douche. (Il s’agit d’un trajet de 60 min aller-retour).

On retourne et là on attend sous la pluie, il y avait beaucoup de catégories et les seniors sont à la fin. Là, ils annoncent le podium cumulatif, mais entre-temps je parlais avec les représentants de Salomon, il y en avait trois cette journée-là. Valentin, un des grands représentants, qui est en Europe habituellement, m’a dit:
-J’ai entendu dire qu’on te perdait.
-Oui, mais j’ai vraiment, vraiment apprécié faire partie de la famille Salomon, ce fut l’une des meilleures décisions de ma carrière. Ça m’a permis de prendre une coche dans mon sport, d’être compétitive. Ç’a fait partie des facteurs qui ont contribué à mon succès.

Il m’a répondu que ce n’était pas fini. Avec la famille Salomon il y a aussi une après-carrière. Ils veulent me garder en tant qu’ambassadrice et si j’ai des projets dans lesquels ils peuvent s’impliquer, de ne pas se gêner à leur demander. J’ai répondu wow, c’est donc bien le fun! C’est extraordinaire ! Je suis chanceuse d’être avec vous autres.

Bon, là ils nomment les podiums, mais ils ont fait une erreur. Ils m’ont nommée en 3e position au cumulatif général des Championnats canadiens, mais j’étais en 2e position. Ils ont nommé Katherine (Stewart-Jones) en 2e position, pis c’était une erreur. Sur le coup, je ne sais pas trop, je n’ai rien dit, parce que je voulais vérifier. En effet, c’était moi la 2e. En montant sur le podium, d’ailleurs, Katherine m’a dit: “Je pense que tu m’as battue, non?” Mais là, tsé, l’annonceur parle, ils remettent les médailles, ça va trop vite.

(NDLR: Dahria Beatty a gagné au cumulatif. Katherine n’a participé qu’à 2 des 4 courses, 2 médailles d’or. Cendrine a récolté 1 médaille d’or, 2 de bronze et une 4e place au sprint (2e temps de qualif). Ainsi, jusqu’au tout dernier podium de sa carrière, Cendrine aura été poursuivie par des “erreurs de bonne foi”.)

Katherine m’a dit: “Je vais te rembourser la différence, pas de problème” (la 2e place rapportait $200 et la 3e, $150. Ce n’est pas en ski de fond que les athlètes canadiens s’enrichissent…)

Cendrine Browne (Source: Facebook, page d'athlète)
Cendrine Browne (Source: Facebook, page d’athlète)

IX – ÉMOTIONS, ACTE 3

On est retournées à leur hébergement et on est allées dans la chambre de Maya. Moi, Maya, Katherine et Dahria, on voulait un moment à nous seules comme, pour, tsé… (inaudible, gorge nouée).

Moi et Maya, on avait préparé des scrapbooks pour chacune des filles, des photos de nos 10 dernières années ensemble. On avait écrit des petites choses en-dessous des photos et on avait écrit une lettre à chacune des filles. Katherine m’avait fait une carte. C’est un moment d’échanges et d’appréciation, pis, ouin, c’est ça (gorge nouée). On est devenues de grandes amies.

C’était quand même difficile, là, pour vrai, en écrivant les lettres, j’ai pleuré à chacune ! Et là on a toutes lu les lettres, c’était émotif, tout le monde pleurait. On a pris un verre ensemble.

Catherine est revenue me conduire à mon hébergement, où j’avais un souper avec mon équipe du CNEPH. J’ai rejoint les autres qui étaient déjà rassemblés. Les gars faisaient du barbecue. J’ai parlé beaucoup avec la mère de Philippe (Danielle Blanchet) qui était là. Son garçon prend sa retraite aussi. On a parlé de ce que ça signifiait, de notre carrière, de ce qui s’en venait et de tous les outils qu’on avait créés à travers notre parcours et comment cela était pour nous être utile pour la vie après le ski. On est content d’avoir préparé notre après-carrière, d’avoir des plans, de ne pas se retrouver dans le néant. C’est un gros morceau et c’est un peu comme un deuil de dire au revoir à tout ça.

Cendrine Browne et sa mère, Julie Bruneau (source: Facebook, page d'athlète
Cendrine Browne et sa mère, Julie Bruneau (source: Facebook, page d’athlète)

X – ÉMOTIONS, LE TROP-PLEIN

Après le souper on est sortis parce qu’ils avaient réservé un bar dans le village juste pour les athlètes, tous les athlètes qui avaient l’âge de sortir. Les Américains étaient là aussi. On a marché ensemble et j’ai retrouvé Maya, Katherine, Dahria qui étaient là.

J’ai vu plein d’amis, j’ai vu les Américaines, qui m’ont dit: apparemment tu prends ta retraite? Ah non! Elles étaient toutes vraiment tristes.

Tsé, c’est ça… c’était comme… de revoir tout ce monde-là une dernière fois (gorge nouée), s’amuser ensemble… On a dansé, on a parlé, c’était le fun. À un moment donné, on était assis dehors dans des marches, j’ai commencé à pleurer et j’étais plus capable de m’arrêter. Tout le monde essayait de venir me consoler, mais j’étais pas consolable!

Ce sont tous des amis proches et de belles amitiés créées à travers le sport et soudainement j’ai réalisé que je ne les reverrais plus. J’étais vraiment triste. Elles me disaient ben non, on va se voir, ne t’inquiètes pas. Ouin… c’est ça. (silence)

J’étais avec Antoine Briand qui lui aussi prend sa retraite, j’étais avec Katherine et son chum, on était supposés aller manger un morceau mais finalement on n’est juste pas allés!

On est rentrés.

Benjamin (St-Onge, son copain) et ma mère m’avaient écrit. Les deux étaient fiers de moi. Avec Benjamin on s’est parlé comme deux secondes parce que c’était vraiment rempli comme journée. Il m’a dit: profite de ta soirée, tu n’as plus de stress et aucune restriction maintenant, tu peux en profiter! Je n’ai pas parlé à ma mère de vive voix, mais je savais que j’étais pour la voir le lendemain.

Et puis je me suis couchée.

ÉPILOGUE

Quand finalement Cendrine se glissa sous ses draps, la nuit se fit encore attendre. Les moments forts de sa carrière bouillonnaient en elle, certains réchauffants, d’autres transperçants.

Puis elle s’engourdit doucement dans son sommeil, carrossée sous une pluie d’étoiles.

Cendrine Browne (photo: Denis Harbour)
Cendrine Browne (photo: Denis Harbour)
Cendrine Browne aux JO 2022 (capture d'écran)
Cendrine Browne aux JO 2022 (capture d’écran)

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